Histoire du village
L’année 1789 à Abreschviller
Enrichi par ses activités industrielles, Abreschviller est devenu un gros bourg d’environ 1.300 habitants, très fier de son église toute neuve, symbole de son développement économique. Au cours du XVIII° siècle, émerge une petite bourgeoisie rurale très opposée aux Princes de Linange, qui, résidant en Allemagne, ne s’intéressent à leur comté que pour en tirer des impôts.
Les familles qui comptèrent à Abreschviller au XVIII° siècle ont aujourd’hui des descendants qui portent parfois encore leurs noms.
Les co-propriétaires de la verrerie de Grand-Soldat :
- Raspiller, venus du Tirol vers 1700 ;
- Berthollin, arrivés à la même époque ;
-Machet, venant de Franche-Comté ;
-Chatrian, venus de Tirgnon, au Val d’Aoste, à la fin du XVII° siècle ;
-Restignat, ou Rastignac, venus d’Auvergne vers 1650 ;
-Verniory, originaires du Val d’Ajol ; Blaise Verniory fut procureur fiscal du comté en 1789.
Familles propriétaires d’autres industries :
-a la fin du XVII° siècle, Pierre Limon, forgeron venant de Schirmeck, fut propriétaire de la Forge. Les limon exercèrent ensuite d’autres métiers ;
-la papeterie appartint, à la fin du XVIII° siècle, à Nicolas Mourer, greffier du comté, puis à François Levrault, libaire à Strasbourg ;
-la tuilerie fut gérée par Christian et pierre Oberlé vers 1780 ;
-les moulins eurent leurs familles de meuniers : les Henry et les Ballet à la fin du XVII° siècle, puis les Mozimann.
Familles de scieurs concessionnaires de jours de scieries :
-Bournique, venus du midi (Dordogne) au début du XVII° siècle ;
-Faltot : famille de voituriers, de flotteurs et de ségards ; au XVII° siècle, Jean-Oury Faltot exploitait la scierie de la Thomasthal ;
-Abba, famille du midi installée à Abreschviller avant 1649 ; ils furent scieurs et marchands de planches ;
-Ristroff (ou Ristrophe), famille venue d’Alsace au milieu du XVIII° siècle ;
-Reinstadler ; Etienne vint de Lutzelhouse et exploitait la scierie de Karlsthal en 1788. Ses descendants restèrent dans la région (Abreschviller, Lafrimbolle, Saint-Quirin) ;
-Jordy, venus de Savoie au XVIII° siècle ;
Autres activités :
-On ne connaît qu’un seul brasseur : Georges Moehrlein, venu d’Allemagne (1776) ;
-A la Valette, Joseph Bechler, né vers 1697, exploitait la cense (ferme) au début du XVIII° siècle.
Lors du « Procès des Corvées » ( 1771-1783), représentaient la communauté d’Abreschviller :
-Dominique Faltot ;
-Joseph Ristroff ;
-Joseph Bournique ;
S’en suivit le « Procès de la Grasse Pâture (1783-1787), les représentants de la communauté d’Abreschviller étaient :
-Dominique Faltot ;
-Jean-François Abba ;
-Nicolas et Joseph Bournique.
Ces familles jouaient un rôle dirigeant dans la commune. Leur rôle ne s’arrêta pas avec la Révolution.
LES ETATS GÉNÉRAUX : Mai 1789.
Le Comté de Dabo dépendait de l’Alsace. Or, l’Alsace ne possédait ni bailliage ni sénéchaussée, et le règlement du 24 Janvier 1789 organisant les élections aux Etats-Généraux ne lui étaient pas applicable. Le Roi prit un arrêt le 7 Février 1789 pour organiser les élections en Alsace. Mais il ne semble pas qu’il y ait eu des cahiers de doléances pour le Comté de Dabo.
Le Comté fut rattaché à la circonscription électorale de Haguenau-Wissembourg. Le Prince de Linange ne daigna pas participer à l’Assemblée Générale des Trois ordres le 26 Mars 1789. Cette absence provoqua la colère de l’Assemblée.
Le Comté de Dabo entra dans l’histoire de la Révolution par l’émeute du 28 Juillet 1789. Depuis Mai 89, des rumeurs couraient les campagnes : c’est ce qu’on a appelé « la grande peur ». On craignait de voir des bandes armées piller les villages et les esprits étaient trés échauffés.
Les habitants de Dabo étaient très mécontents de voir les fonctionnaires du Comté déserter sa capitale alors que les Princes résidaient en Allemagne : ils avaient l’impression d’être méprisés :
-le Bailli Gérard, responsable de la justice seigneuriale, résidait à Saverne, ainsi que Hoffmann, le receveur général ;
-le garde-général Jacques-Frédéric Becker ainsi que le greffier Billaudet, étaient installés à Abreschviller ;
-Ruhl, représentant du Prince de Linange dans le Comté, vivait à Strasbourg ;
Désirant que l’administration du Comté se réinstalle à Dabo, le 28 Juillet 1789 deux cents hommes de Dabo se rendirent à Harreberg où le Bailli Gérard tenait une audience du tribunal seigneurial. Ils réclamèrent le retour de l’administration du Comté à Dabo. Gérard promit de transmettre la demande.
Mais, une centaine d’hommes se rendit à Abreschviller, pillèrent la maison du garde général Becker qui s’enfuit, et détruisirent les régistres des plaids annaux sans trouver aucun texte relatif à leurs droits d’usage.
L’anarchie se développait dans le Comté et la rancœur contre le Prince de Linange ne faisait que croitre. La population avait le sentiment d’être abandonnée par ses maîtres et entendait bien en profiter.
L’ordre public se dégradait à travers tout le Royaume. La justice, la maréchaussée, l’armée, émanations du pouvoir royal, se trouvaient discréditées aux yeux des citoyens qui réclamaient des réformes, une force armée capable de maintenir l’ordre et de protéger les biens, mais dans laquelle le peuple aurait confiance.
Ainsi naquit à Paris la Garde Nationale, une troupe de volontaires recrutés parmi les artisans et les bourgeois, puisque tenus à acheter leur uniforme et leurs armes, et considérée comme la Nation en arme. Le commandement en fut confié à un héros de la Guerre d’Amérique : le Marquis de La Fayette, Général et Député à l’Assemblée Nationale.
Abreschviller aussi avait son héros d’Amérique : Nicolas-Louis JORDY, ancien soldat au régiment de Deux-Ponts avec lequel il avait combattu les troupes anglaises du Général Cornwallis à la Bataille de Yorcktown sous les ordres du Comte de Rochambeau. De retour d’Amérique depuis 1782, Nicolas-Louis Jordy dirigeait une papeterie. Il fut élu Capitaine de la Garde Nationale, inaugurant une carrière militaire que rien ne lui laissait présager.
L’annonce des événements de Paris, les émeutes du 14 Juillet, puis la suppression des privilèges au cours de la fameuse Nuit du 4 Août firent croire aux habitants du Comté qu’ils étaient entièrement libres d’agir à leur guise, et qu’il n’y avait plus de lois pour les contraindre à obéir à un seigneur devenu sans droits.
Depuis le printemps 1789, les procédures s’éternisaient dans les procès opposant le Comte à ses sujets. Ces derniers exigeaient le respect de droits anciens dont ils étaient bien incapables d’apporter la moindre preuve. Craignant que la situation s’envenime, le représentant du Comte, Ruhl, qui résidait à Strasbourg, proposa au nouveau garde-général Reimel, de délivrer des bois de construction à prix réduit. Les habitants proposèrent de renoncer aux procès si le bois leur était livré à moitié prix. Le 2 Novembre, le Prince fit connaître son refus catégorique.
Ce fut le début de l’anarchie dans la forêt seigneuriale. Le nouveau garde-général, Nicolas Reimel, un homme âgé nommé pour remplacer Becker en fuite depuis l’émeute d’Abreschviller , n’avait ni la force ni les moyens de faire respecter les ordonnances forestières que tout le monde contestait, n’y voyant que les mauvais souvenirs d’une époque révolue. Les neveux du garde-général, Jacques et Félix Reimel, procédèrent à des coupes dans le but de vendre le bois à leur profit. Les habitants les imitèrent, coupant des arbres sans vergogne, sans véritable besoin, dans le but simplement de braver sans risque un interdit. La forêt était saccagée, et les troupeaux paissaient sans contrainte. Les redevances n’étaient plus payées.
Le peuple du Comté se sentait propriétaire des forêts dont les seigneurs étaient dépossédés. Le braconnage, qui avait toujours été une plaie dans ces forêts, se fit au grand jour.
Dès Août 1789, le problème de l’indemnisation des « Princes étrangers possessionnés en Alsace » avait été posé. Le Roi Louis XVI, dans une lettre du 18 Septembre 1789, déclarait que les traités passés avec l’Empire devaient être respectés et les Princes indemnisés.
Si les Princes devaient être indemnisés, c’est parce qu’ils n’étaient plus propriétaires des forêts, qui étaient donc la propriété du peuple français, c’est-à-dire des habitants du Comté de Dabo. Aux yeux de certains, cela justifiait toutes leurs exactions en forêt.
LA DISPARITION DU COMTÉ DE DABO
L’organisation territoriale du Royaume était devenue d’une extrême complication, les circonscriptions judiciaires, fiscales, religieuses, militaires, administratives se chevauchant sans aucune logique, héritages de l’histoire et des conquêtes royales. Depuis longtemps, des projets de simplifications avaient été proposés sans succès.
Le 11 Novembre 1789, l’Assemblée Constituante adopta un nouveau découpage de la France : les départements.
La loi découpait la France en 80 départements de forme carrée, de 18 lieues de côté ; chaque département était divisé en 9 cantons de même forme. Les noms qu’on leur attribuait rappelaient un élément du paysage : fleuves, montagnes, mers, …L’idéologie des Philosophes des Lumières trouvait là son application : un goût marqué pour l’égalité et la nature, et le refus d’un passé rappelant l’autoritarisme monarchique et la féodalité.
Par décret du 22 Décembre 1789, le nouveau découpage administratif de la France fut imposé. Mais il fallut de nombreuses modifications pour que le projet soit applicable. Ce projet répondait à deux ambitions :
mettre fin au particularisme régional et promouvoir le sentiment d’appartenir à une Nation unifiée en faisant disparaître les souvenirs de l’Ancien Régime : seigneuries, fiefs, provinces, …
décentraliser la France en créant des chefs - lieux de départements accessibles par tout citoyen en moins d’une journée de cheval.
Créer le sentiment d’appartenir à un état unifié dans lequel la loi est la même pour tous, et, en même temps, mettre en place une administration décentralisée semblait un paradoxe : ce fut une réussite.
Ainsi, le Comté de Dabo se trouva dissous dans l’unité française.
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